Repenser les cimetières

Aujourd’hui, les rites funéraires ne sont plus les mêmes qu’hier, le rapport à la mort est désormais vécu plus sereinement et la fréquence des visites d’une tombe n’est plus un gage d’affection envers le défunt. En France la crémation gagne du terrain d’année en année et la plupart des cendres contenues dans les urnes sont vouées à être dispersées. Le lieu de recueillement ne se limite plus à un espace mortuaire défini. Si en région parisienne, les places se font rares et chères, de plus en plus de communes sont amenées à repenser les cimetières et à aménager de nouveaux espaces.

Des cimetières qui se vident

Les cimetières n’ont plus tellement la cote, et ce même à la Toussaint. Selon une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC), 38 % des personnes sondées ne se déplacent au cimetière qu’une fois par an et 18 % avouent ne s’y rendre jamais. S’il y a quelques dizaines d’années, il fallait parfois se lever aux aurores pour espérer trouver et offrir un beau bouquet de chrysanthèmes à l’être cher défunt, chez les vendeurs de fleurs de deuil, il n’y a aujourd’hui plus foule. Ce qui conduit à un nouveau phénomène dans les cimetières, le non-renouvellement ou l’abandon de concession funéraire. 

Les communes doivent donc repenser les cimetières et adapter leur gestion.  À Coutiches, dans le nord de la France, la municipalité a eu recours à un procédé assez peu commun pour « faire la chasse » à ces tombes abandonnées et recenser les emplacements disponibles : la surveillance par drone. Et cette pratique semble se démocratiser puisqu’à Isigny-le-Buat, dans la Manche, la commune qui compte près des 3000 emplacements a fait cartographier son cimetière. Cela lui a permis de redécouvrir deux tombes de soldats morts pour la France : elle leur a fait ériger un caveau.

Un nouvel espace obligatoire

Depuis la loi du 19 décembre 2008, selon le code général des collectivités territoriales, toute commune de plus de 2000 habitants doit disposer d’un espace funéraire. Outre le jardin du souvenir – un espace collectif dédié à la dispersion des cendres – la municipalité doit également mettre à disposition des familles endeuillées un columbarium et des emplacements réservés pour l’inhumation des urnes cinéraires : des cavurnes ou des mini-tombes. 

Bien que cet espace puisse être érigé en dehors du cimetière, cette nouvelle réglementation ajoutée à la hausse constante du taux de crémation a amené les communes à repenser leurs cimetières. 

D’un espace principalement dédié à la pierre, à travers les vestiges des arts funéraires du XIXe siècle, des chapelles mortuaires ou des rangs de monolithes en forme de colonnes brisées, les cimetières se transforment peu à peu en espaces végétalisés. Là où il n’y avait auparavant parfois aucun arbre, les communes reprennent les concessions arrivées à expiration pour en transformer durablement le paysage. Si certains espaces avaient été aménagés, çà et là, pour les funérailles au fil des entrées de cercueils dans leur enceinte, désormais les municipalités font appel à des paysagistes pour repenser les cimetières et aménager des lieux de recueillement qui relèvent davantage du jardin et s’inspirent de leurs procédés d’entretien. Depuis des années, le zéro phyto s’est étendu sur l’ensemble du territoire français et désormais les cimetières ne pourront plus s’y soustraire dès juillet 2022, puisqu’un arrêté du 15 janvier 2021 a acté l’interdiction de l’utilisation de pesticides sur les terrains communaux. 

Des lieux de culture

Il est aussi important de mentionner l’aspect historique et touristique que représentent ces lieux jadis l’apanage des morts. Si le cimetière du Père-Lachaise est un lieu de pèlerinage pour tous ceux qui veulent apprécier la sépulture d’Oscar Wild, de Marcel Proust, d’Édith Piaf, de Frédéric Chopin ou de tant d’autres personnalités qui ont marqué les arts et les lettres, il est également possible de citer le cimetière marin de Sète où les tombes sont installées avec vue directe sur la mer Méditerranée, un cimetière atypique qui avait inspiré un poème de Paul Valéry qui y est d’ailleurs inhumé ou encore celui de Boulbon, perché sur une colline, non loin d’Avignon. Chaque cimetière ou presque dispose de sa tombe « phare » pour laquelle certains et certaines sont prêts à faire des centaines, voire des milliers de kilomètres. 

Face à cet engouement pour les musées mortuaires à ciel ouvert, certaines communes ont pris l’initiative de repenser les cimetières en utilisant les espaces comme lieu d’exposition. De véritables lieux culturels dédiés à l’expression des arts funéraires ou consacrés à leur histoire. Si contrairement à d’autres pays où il est déjà commun d’organiser des expositions temporaires sur différentes thématiques sans lien avec le funéraire, l’art des vivants peine encore à s’inviter au milieu des tombes. Néanmoins, en 2017, Brikx, un artiste de rue a exposé ses portraits en Lego au cimetière intercommunal de Valenton, peut-être les prémices d’une nouvelle tendance ?

Publié le
9 avril 2021